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— Vous y comprenez quelque chose, vous commandant à c’te machine ?
Bob Morane et Bill Ballantine avaient regagné l’appartement du Quai Voltaire. À cette heure de la nuit, ils n’avaient eu aucune difficulté à traverser Paris et à rejoindre les bords de Seine. Seuls quelques bouts de plastique attachés à des piquets de fortune marquaient encore le lieu du drame qui s’était joué quelques heures plus tôt, lorsque le faux professeur Hutton avait été précipité dans le fleuve sous les fenêtres de Morane.
Le système de repérage récupéré dans la suite de Nataniel Cooper était posé au milieu de la table basse du salon, telle une chose incongrue.
— Ça ne doit tout de même pas être très compliqué, répondit Bob en s’emparant de l’appareil.
Sous le minuscule écran, cinq boutons s’alignaient. Sur les quatre premiers étaient dessinés de petites flèches noires indiquant différentes directions. Haut… Droite… Bas… Gauche… Le cinquième bouton était marqué simplement d’un cercle, orné d’une petite barrette verticale. C’est sur ce bouton que le technicien avait appuyé pour libérer l’appareil de son berceau. Bob effectua la même manœuvre.
Le système émis un léger bip, puis un sifflement régulier. L’écran s’éclaira et une sorte de sphère bleutée apparut en son centre. Elle effectua une série d’arabesques compliquées pour ensuite disparaître et laisser place à deux lignes de texte qu’on aurait pu qualifier de cabalistiques.
A MICROCHIP
B MICROCHIP
La première ligne apparaissait en surbrillance. Bob fronça les sourcils. Se pouvait-il que cela soit si simple ?
Aucun système de protection ? Rien ? Pas même le moindre petit mot de passe ? Cela paraissait tout de même inhabituel. D’un autre côté, le technicien de Cooper était en train de calibrer l’appareil lorsque les hommes de l’Ombre Jaune avaient fait irruption dans la suite. L’appareil était donc peut-être déjà en action…
Bob utilisa les touches fléchées pour mettre en surbrillance la seconde ligne. Il appuya ensuite sur la touche marquée d’un cercle et d’une barrette.
Un temps de suspense, puis ACCESS GRANTED TO MICROCHIP B apparut en surbrillance sur l’écran, ce qui signifiait que l’ensemble des protections du système était désactivé. Puisque l’opérateur était en train de le manipuler lorsque les hommes de Ming avaient fait irruption, cela paraissait logique. Dans le même temps, il avait eu de la chance que ces hommes de main ne fussent pas davantage versés dans la haute technologie. Ils se seraient sans doute alors emparés de l’appareil, pour s’éclipser aussitôt sans déclencher la fusillade.
« À chaque jour suffit sa chance », songea Bob, en saluant une fois de plus la baraka, compagne d’aventure fidèle parmi les fidèles.
— Ça marche ? demanda Bill d’un air sceptique en se penchant par-dessus l’épaule de Morane.
— M’en a tout l’air, Bill… M’en a tout l’air…
Une série d’inscriptions défilèrent sur le petit écran.
D’après les quelques connaissances que Bob possédait sur les nouvelles technologies GPS, l’appareil était en train d’interroger un satellite afin d’obtenir une liaison avec la micro-puce transportée par la fille du professeur Hutton.
Enfin, une carte d’Europe s’afficha, puis s’élargit pour zoomer sur une région précise. Un petit point bleu clignotait régulièrement, indiquant la position de la puce et, en même temps, celle de mademoiselle Hutton.
— Alors ? s’enquit Bill.
Le géant était retourné s’effondrer dans son grand fauteuil de cuir. Un verre à la main, il faisait tourner lentement un glaçon de la taille d’un iceberg dans un océan de Zat 77.
— Le nord de l’Espagne, expliqua Bob. Au pied des Pyrénées… Fais tes valises, vieux, on va voir la mer !
***
Croire que l’Ombre Jaune ne comptait que sur ses hommes de main pour récupérer le récepteur capable de localiser la fille du professeur Hutton, c’eut été bien mal connaître le terrible Mongol. Depuis l’épisode de la Seine, il savait que, de près ou de loin, son vieil ennemi Bob Morane était entré dans la danse. Était-ce dû au hasard ? Il ne le croyait pas. Comme toujours, l’apparition de Morane et de son acolyte écossais avait des allures de coups du sort… Mais lorsque le sort s’acharne sur vous à ce point, le mot « coïncidence » s’efface peu à peu de votre vocabulaire pour être remplacé par celui de « trahison ». Quelqu’un, à l’intérieur du Shin Tan[3] organisait sciemment ces interférences. Qui ? Ming n’en savait rien. Il avait beau chercher, jamais il n’était parvenu à identifier le personnage qui tentait, ainsi, à répétition, d’enrayer sa machine de guerre.
Sur le quai Voltaire, un gros homme habillé de sombre se tenait au volant d’une camionnette type de livraison, espace cargo, aménagée en laboratoire de haute technologie informatique. À l’arrière, assis sur un petit siège tournant, les yeux littéralement collés à un écran, Chester McGhoul détaillait avec fascination les diverses données renvoyées par la batterie de senseurs tournée vers l’appartement de Bob Morane. McGhoul avait à peine dépassé les vingt ans, mais comme nombre de jeunes adultes de sa génération, il nageait dans la haute technologie comme un poisson dans l’eau. Il y nageait… Et il ne pouvait pas s’empêcher d’utiliser un jargon totalement hermétique, ce qui avait pour résultat d’énerver Aldo Gazin, « son » chauffeur.
— Aucun doute, marmonna McGhoul, il a activé le GPS… Et la fréquence est dotée d’une clé de cryptage pour débutants ! Un algorithme en 128 bytes ? Pourquoi pas un simple mot de passe tant que nous y sommes ?…
Aldo fit la grimace. S’il ne l’arrêtait pas, c’était reparti pour un tour. De toute façon, Monsieur Ming avait démarré son « Plan B ».
— Je peux juste te demander de me dire où le Français et son ami écossais vont se rendre ?
— Ça va, ça va, pas la peine de t’énerver… Laisse-moi juste le temps de…
Les doigts de McGhoul parcoururent une nouvelle fois le clavier, presque trop vite pour le regard humain. Devant lui, sur les écrans, des cartes défilaient à toute allure. Des dizaines de calculs s’effectuaient à grande vitesse. À l’instant même où, dans son appartement, Bob Morane constatait que le gadget de l’Organisation Oméga l’envoyait dans le nord de l’Espagne, la silhouette caractéristique de l’ancienne Ibérie s’affichait simultanément sur tous les écrans de McGhoul, qui hurla :
— Banco !…
Au volant, Aldo faillit s’emparer de l’arme glissée sous son aisselle. Le gamin avait hurlé tellement fort qu’il avait cru que quelque chose allait de travers.
— C’est en Espagne ! cria McGhoul ! Et… re-banco ! Dans une petite station balnéaire du nord.
— Tu ne pourrais pas hurler moins fort, grommela Aldo. Tu vas réveiller tout le quartier ! On a vraiment besoin de ça pour le moment !…
Sans attendre que son compagnon lui réponde, Aldo s’empara d’un téléphone portable posé sur le tableau de bord de la camionnette. Il appuya sur une seule touche pour appeler un numéro mémorisé.
— C’est Aldo, dit-il sur un ton sec. Le gamin a fait son boulot. La fille du professeur Hutton est en Espagne. À Rosas. Une petite station balnéaire. Vous pouvez préparer une équipe…
Le chauffeur coupa, composa un second numéro. Cette fois sa voix était tout autre, calme, posée, presque soumise.
— Monsieur… Nous avons repéré la fille du professeur Hutton… En Espagne. Oui… J’ai déjà envoyé une équipe sur place… Et pour Morane ?… D’accord, c’est entendu…
***
Dans les profondeurs de son repaire, sous les neiges sibériennes, l’Ombre Jaune coupa la communication avec Aldo.
Il ne faisait aucun doute que Bob Morane parviendrait à retrouver la fille du professeur Hutton. Suivre les instructions d’un GPS était à la portée du premier venu… et justement Morane n’était pas le premier venu. Par contre, Ming comptait bien faire d’une pierre trois coups. Retrouver la puce avec les informations nécessaires pour enfin mener à bien Prométhéus. Et ramener dans ses filets Bob Morane et Bill Ballantine par la même occasion…
— Une fois encore, Commandant Morane, songea Ming, vous allez vous retrouver entre mes mains. Mais cette fois…
La main postiche de l’Ombre Jaune, trésor de technologie capable de broyer le plus solide des alliages, mais aussi de manipuler les objets les plus fins, s’ouvrit et se ferma par trois fois.
— Mais cette fois, vous serez totalement impuissant face à ce que je me propose de faire subir au monde. Totalement… Impuissant…